Je voudrais aujourd’hui réfléchir avec vous sur un sujet que nous n’abordons pas souvent dans nos réflexions, pris comme nous le sommes dans notre trajectoire quotidienne.
Nous sommes parfois profondément interpelés quand la vie nous place face à un de ces êtres hors normes qu’on nomme dans notre société un handicapé.
Il existe bien des formes de handicaps. Ceux qui touchent au physique, à une fonction motrice, et ceux qui touchent aux fonctionnements du cerveau, du mental et de l’intellect.
Il faut en tout premier lieu bien se garder de ce mot. Notre société progressivement grâce à l’éclatement de la structure familiale traditionnelle a créé l’exclusion de tous ceux qui ne sont pas conformes à la norme. L’éparpillement de la famille ne permet plus, comme au début du vingtième siècle ou en Asie aujourd’hui, de s’occuper de l’éducation des enfants, des vieillards et à fortiori de ceux qui sont hors des fonctionnements habituels que génère maintenant notre société. Je trouve que nous devrions appeler les handicapiés, les exclus.
Ne sachant comment gérer ces différences, cet écart à la norme sociétale, notre société étant dans l’incapacité d’aider les familles de ces exclus, nous avons créé des institutions pour les extraire de notre vision.
De la même façon, ne sachant plus gérer la mort et la vieillesse, nous avons créé des maisons de retraite qui ne sont en fait que des lieux de relégation dans l’attente de la mort de nos anciens, des mouroirs. Notre société n’est aujourd’hui construite que pour des acteurs économiques actifs, pourvoyeurs des circuits de consommation, apportant sa quote-part au mouvement général de fuite en avant.
Parfois, dans cette course en avant, un point fixe, ou plus lent, se pose en travers de notre chemin et nous oblige à marquer une pause, voire même à nous arrêter, car nous ne pouvons évacuer d’un revers de main alors les questions fondamentales qu’ils nous posent : celles de savoir qui nous sommes. Je veux bien sûr parler des handicapés.
Mais d’abord, qui est handicapé, ces exclus de la course en avant, ou nous-mêmes qui sommes souvent incapables de les regarder ou même de regarder notre voisin.
Cela me ramène à ce SDF qui vit dans la rue à côté de mon bureau, que personne ne regarde de peur qu’il leur parle, qui est ivre du matin au soir, sale parce qu’il a choisi de vivre dans la rue (je dis choisi, car pour lui il n’y a pas de problèmes de ressources dans la mesure où il retire de l’argent au distributeur tous les jours pour ses bières quotidiennes), et qui apprécie que je lui dise bonjour tous les jours lorsque je le croise.
Pour revenir au handicap, je dirais quelques mots de ce que l’on considère comme l’handicap mental. Il m’ a été donné de réfléchir de nombreuses fois a cette question.
A 30 ans, j’ai eu le privilège de fréquenter une jeune fille, soeur d’un de mes associés, qui était trysomique. Je dis était car elle est décédée aujourd’hui. Cette jeune fille (elle avait une vingtaine d’années lorsque je l’ai connue) a été la première a m’interpeler sur la notion d’amour inconditionnel. Elle était remarquablement intelligente, l’intelligence aiguë de ceux qu’on ne peut pas tromper par des faux-semblants. Elle savait très bien qui lui faisait des sourires de convenance, lui parlant avec la condescendance de ceux qui sont normaux, et ceux qui la regardait avec le coeur et reconnaissait la magnifique source d’amour qu’elle était et a été toute sa vie. A cette époque (1980), j’étais bien loin d’avoir le regard d’aujourd’hui. Je ne savais même pas ce qu’était une énergie, ce qu’était le coeur.
Cette jeune fille m’a profondément marqué. Au début, je ne savais comment la regarder, puis à force de la côtoyer (mon associé en avait la charge, sa mère ayant décédé quelques mois plus tôt) je n’ai plus jamais regardé ce que notre société nomme le handicap avec le sourire gêné de celui qui ne sait pas quelle position prendre.
Face à cette première expérience, dans mon regard, l’handicapé était devenu non seulement un être comme les autres, mais bien plus, un être qui portait l’amour bien plus que tous les normaux de cette société.
Mon cheminement dans le rapport à l’handicap s’est poursuivi durant toutes les années durant lesquelles j’ai oeuvré en tant que thérapeute. Durant cette période d’activité, je voyais évidemment se présenter des personnes ayant épuisé toutes les solutions proposées par la médecine ne sachant plus dans quelle direction se tourner. Elles avaient entendu parler de moi, de la Couleur et des Cristaux et cela leur paraissait une voie possible (aujourd’hui, je ne reçoit plus en individuel. J’ai pris la décision en 1996 de ne me consacrer qu’à l’enseignement de groupe et à la formation de thérapeutes). Dans ces personnes, certaines se présentaient avec leur famille, porteuses d’handicaps lourds ou de maladies en phase terminale.
Progressivement, au fil de ces rencontres toujours très fortes sur le plan relationnel, j’ai constaté que mon regard se transformait profondément au fil des années. J’ai rapidement vu que ce que je considérais au départ comme un handicap, avec toute la condescendance contenue dans ce mot de bien-portant, était plutôt un décalage entre cet être et la norme sociétale. Je constatait qu’elles portaient d’immenses qualités de perception que nous étions bien loin, nous les normaux, d’égaler. En effet l’exclusion (je préfère l’appeler exclusion qu’handicape), pour pallier à certaines inaptitudes normatives (les facultés d’acuité auditive et de sensibilité de l’espace environnant sont bien connues chez les mal-voyants), ou simplement parce qu’il avait choisi d’expérimenter une autre façon de percevoir le monde et de le vivre présentait bien des qualités de coeur, d’être et d’âme qui je n’avais pas perçu dans ma première vision empreinte de jugement.
Je pense que nous avons beaucoup à apprendre de l’observation de ces êtres, non pas dans une position de voyeurisme, mais dans un partage des différences qui nous démontre que personne ne détient la moindre vérité et qu’il est possible d’apprendre de tout être, et surtout de celui qui est différent de nous.
Le regard de l’exclu, et ce qui passe d’intelligence, d’acuité, de perspicacité et de sensibilité dans son regard est la plus belle récompense qu’il puisse vous donner lorsqu’il vous accueille dans son espace. Je souhaite à chacun d’avoir le privilège de recevoir ce cadeau de la vie.
Merci du temps que vous avez consacré à ce texte et à cette réflexion.
Sarlat, le 22 septembre 2011, 8h21
Vous pouvez voir cette vidéo documentaire réalisée par mon Frère Serge : « les voiles de l’Agly » qui illustre combien les différences peuvent être surmontées et permettre de vivre des aventures humaines lorsque les femmes et les hommes laissent faire leur coeur.